À cette heure de la soirée, les rues de la vile présentent une faune des plus fascinantes et des moins recommandables : putains proposant une passe, maquereaux surveillant son cheptel, et autres oiseaux de nuit qui planent au-dessus de la cité comme des vautours autour d’une charogne. Un peu avant d’arriver au pont de Fragnée — le pont des Anges comme l’ont surnommé les habitants — j’aperçois un homme assis à même le sol, le dos contre un mur de briques. La manche remontée de sa chemise dévoile le garrot fixé à son biceps ainsi que l’aiguille de la seringue plantée dans la veine de son bras. Je me mets soudain à m’enfoncer à travers le dossier de mon siège alors que le spectre du manque vient briser ma concentration.
— Hey ! s’exclame Kowalski. T’es avec moi ?
— Pas plus que d’habitude, dis-je alors que le morphinomane disparaît de ma vue.
— C’est pour ça que je déteste travailler avec un macab, grommelle mon équipier.
— Ça me fait vraiment de la peine ce que tu dis.
Kowa préfère se murer dans un mutisme poli plutôt que de répondre à ma pique. C’est bien ce que j’ai toujours reproché à ces cosaques : trop discrets pour être honnêtes ! L’inspecteur Renzi Kowalski avait débarqué avec toute sa famille lorsque celle-ci avait fui le pogrom Prusse. Il n’avait que six ans et déjà un seul rêve en tête : intégrer la police. Il avait trimé dur pour y arriver. La chute s’était révélée d’autant plus rude quand on lui avait annoncé que son équipier était un flic marron. Petit à petit, nous avions fini par réussir, non pas à nous entendre, mais au moins à collaborer. Il détournait les yeux sur mes petits trafics et je l’aidais à coffrer un « méchant » de temps en temps. La situation n’était pas parfaite, mais cela nous empêchait de nous entretuer. Du moins le croyais-je jusqu’à ce qu’on retrouve mon corps, gisant dans une mare de sang et de pisse, au milieu de ma cuisine. Pour être tout à fait franc, je ne l’ai pas encore totalement écarté de ma liste de suspects.
FIN DE L’EXTRAIT
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